Longtemps considérés -à plus ou moins juste titre- comme secondaires par les scouts et directeurs sportifs des grands championnats européens, les viviers danois, suédois et norvégiens sont aujourd’hui parmi les plus grands fournisseurs européens de talents. Alors oui, on prêche un peu pour notre paroisse… mais on le constate désormais à chaque période de transferts, et ce n’est pas cet été qui nous prouvera le contraire. Soif de diamants ? Mettez vos casques, on descend dans la mine !
De grands joueurs de la planète football ont toujours émané des pays scandinaves. C’est même un peu pour cela que nous, Nordisk Football, existons. Nommer tous ceux qui nous ont inspirés dans cette aventure serait trop long. Toujours est-il que nos héros d’alors ont sans doute contribué à lancer les gros travaux d’un football au charme infini, mais encore en construction. Un football où jouer et s’entraîner toute l’année est parfois déjà un défi, en raison des conditions météorologiques. Un football où les droits télé, namings et autres sponsorings ne sont pas ceux des championnats les plus huppés. Il n’y a qu’à voir les maillots surchargés de publicités de certaines équipes pour comprendre où commencent leurs difficultés. Alors, comme d’autres, pour construire sur des bases solides, les clubs misent sur une chose dont leurs pays regorgent : le talent.

Pas facile, cependant, de se faire une place à la table des « gros » lors des mercatos. Suède, Norvège et Danemark ont toujours vu partir leurs meilleurs joueurs. Mais leurs marchés ont très souvent été ceux de « la bonne affaire ». Des bons joueurs pas chers, parfois même sous-vendus, ce que nous prenions nous-mêmes plaisir à ébruiter, heureux de pouvoir peut-être donner quelques idées aux clubs de l’Hexagone… avec toujours un pincement au coeur pour les clubs vendeurs, pas assez récompensés. En 2001, Zlatan avait signé à l’Ajax pour seulement 7,8 millions d’euros. Pourtant, il avait alors pulvérisé le record d’Allsvenskan ! C’est désormais un souvenir. L’an dernier, Lucas Bergvall a été vendu par Djurgården à Tottenham pour quelques 15 à 20 millions d’euros, bonus inclus. Les transferts de Nanasi à Strasbourg, Hugo Larsson à Francfort ou encore Bazoumana Touré à Hoffenheim ont tous passé la barre des 10 millions d’euros.
En Scandinavie (et le constat peut s’élargir dans une moindre mesure à l’Islande ou à la Finlande), les académies forment mieux, les staffs entraînent mieux, les scouts recrutent mieux, les clubs vendent mieux ! Et pas seulement des joueurs du cru, les partenariats et prospections à l’étranger se multipliant. Comment ne pas parler du FC Nordsjaelland au Danemark, et de son académie internationale Right To Dream, qui a notamment permis de voir émerger un Mohammed Kudus ? Que dire de Malick Yalcouyé, recruté pour une bouchée de pain à l’ASEC Mimosa par l’IFK Göteborg et revendu après 6 mois à Brighton pour 7 millions d’euros ? Un cercle vertueux qui, certes dans un contexte d’augmentation générale des montants des transferts, permet aux meilleurs clubs de chacun de ces pays de grimper dans la hiérarchie européenne.

Haaland, Isak, Gyökeres, Ødegaard, Kulusevski, Damsgaard, Dorgu, Elanga, Strand Larsen, Hjulmand, Stage, Sørloth pour ne citer qu’eux, brillent parmi les cadors. Et la source ne semble pas se tarir. Bodø/Glimt a atteint cette année les demi-finales d’Europa League, Djurgården celles de Ligue Conférence. Le FC Copenhague a fait figure de Petit Poucet au stade des huitièmes de finale de Ligue des Champions 2023/24. Alors feux de paille ou vraie percée ? Toute la difficulté réside dans le fait de poursuivre cette progression tout en continuant à perdre ses meilleurs éléments chaque saison. Évidemment, il faudra encore quelques années pour faire les comptes… mais aujourd’hui, les comptes, justement, sont bons. Et nous donnent une tendance intéressante.
Noa Bachner, journaliste suédois, en présente un exemple frappant dans un article publié le 19 juin dans Expressen : les Suédois d’Hammarby, qui affronteront le club belge de Charleroi en qualifications à la Ligue Conférence dans quelques semaines. « En 2017, Hammarby a réalisé un chiffre d’affaires d’un peu plus de 110 millions de couronnes (environ 10 millions d’euros), explique-t-il. Charleroi, quant à lui, a réalisé plus du double, soit près de 300 millions de couronnes (environ 27 millions d’euros). Dans le même temps, l’équipe belge était évaluée à près de 300 millions de couronnes, tandis que celle d’Hammarby était d’environ 125 millions. » Aujourd’hui « l’écart financier a été entièrement comblé. Hammarby a réalisé un chiffre d’affaires de 384 millions de couronnes l’an dernier, contre environ 340 millions pour Charleroi. » Quant à la valeur marchande des effectifs, « en 2017, la valeur de l’effectif de Charleroi était d’environ 250 millions de couronnes, contre environ 135 millions pour Hammarby. […] Selon les données de Goalunit, l’équipe vaut maintenant 447 millions de couronnes, contre 425 millions pour Charleroi. »

Toujours selon le travail de Noa Bachner, Goalunit a établi un indicateur clé du potentiel de vente des joueurs dans les championnats européens. Et tenez-vous bien, la Suède est en tête, devant… le Danemark, le Portugal et… la Norvège. La France arrive cinquième. Aucun autre championnat n’a vu ses revenus de transferts augmenter autant que l’élite suédoise sur les cinq dernières années ! Par ailleurs, nous avons analysé la balance des transferts des clubs, donnée par Transfermarkt, sur les trois dernières années. L’Allsvenskan vend pour près de quatre fois plus d’argent qu’elle n’achète ! L’Eliteserien (Norvège) et la Superliga (Danemark) pour près de 2,5 fois plus, cette dernière -certainement la mieux armée pour résister aux offres, à l’inverse de l’Eliteserien- atteignant 437 millions d’euros de ventes sur cette période, avec seulement 12 clubs, ne l’oublions pas. De quoi dégager des fonds pour améliorer également infrastructures, encadrement et outils de travail.
Désormais, pour s’attacher les services d’un talent venu du nord, il faut allonger. Le passage par une marche intermédiaire type milieu de tableau de Belgique ou des Pays-Bas avant l’intégration à un championnat Top 5, n’est lui plus aussi nécessaire qu’avant, l’écart de niveau s’étant réduit et les joueurs étant mieux préparés. Alors, pour éviter de voir le prix d’un joueur prometteur s’envoler et la concurrence grandir après une ou deux saisons réussies un échelon plus bas, les formations des grands championnats frappent de plus en plus à la source. De nouvelles preuves de l’énorme travail scandinave, qui fait notamment la part belle aux jeunes en termes de temps de jeu en équipe première, facilitant une mise en valeur précoce. Le jeune Love Arrhov (un amour de joueur…) a ainsi été vendu par Brommapojkarna à Francfort ce printemps, pour 4,6 millions d’euros hors bonus, à seulement 16 ans. Sverre Nypan, milieu norvégien de Rosenborg âgé de 18 ans, va quant à lui s’engager à Manchester City pour 15 millions d’euros.

Globalement, les acteurs du football s’accordent sur plusieurs points : recruter nordique, c’est souvent l’opportunité d’avoir un garçon avec une bonne éthique de travail, plus expérimenté que la moyenne au même âge, dont les basiques sont maîtrisés et qui peut encore engendrer de belles plus-values. À l’inverse, le gap se situe sans doute dans l’intensité des rencontres, la pression sur le porteur et la rudesse physique. Il faut aussi garder à l’esprit que Norvégiens et Suédois jouent sur l’année civile. À l’arrivée des joueurs dans une ligue au calendrier « classique », cela peut créer un décalage au niveau du rythme et de la préparation, ou même générer des saisons à rallonge, comme ce fut le cas pour Sebbe Nanasi, qui entre Malmö, Strasbourg et la sélection, a joué bien plus d’un an sans véritable trêve. Forcément, au moment de devoir s’adapter à un niveau plus élevé, cela pèse. La patience est alors de mise.
Aucun transfert, aucun recrutement ne peut se parer de certitudes. L’humain, l’émotion, le hasard seront toujours là pour contredire la data et les prévisions. En revanche, pour tous ceux qui creusent dans l’espoir de dégoter des pierres précieuses du football d’aujourd’hui et de demain, sous-estimer les galeries scandinaves est l’assurance de passer à côté d’une bonne pioche.
Les prochains principaux transferts sortants de Scandinavie à attendre :
Victor Froholdt (19 ans, DAN, FC Copenhague), Clement Bischoff (19 ans, DAN, Brøndby), Noah Nartey (19 ans, DAN, Brøndby), Keita Kosugi (19 ans, JAP, Djurgården), Tobias Gulliksen (21 ans, NOR, Djurgården), Besfort Zeneli (22 ans, SUE, Elfsborg), Sindre Walle Egeli (19 ans, NOR, Nordsjaelland), Mario Dorgeles (21 ans, CIV, Nordsjaelland), Lucas Høgsberg (19 ans, DAN, Nordsjaelland), Sondre Ørjasaeter (21 ans, NOR, Sarpsborg)… Liste non exhaustive. Ô que non !
Photo mise en avant : Instagram Swemnt