Cap au Nord pour notre rubrique rétro. Cap sur l’Islande. Depuis quelques années, la petite île volcanique connait une progression fulgurante dans le paysage footballistique. Mais avant de sortir l’Angleterre à l’Euro 2016, quand on évoquait l’Islande on pensait immédiatement à Eiður Guðjohnsen.

Pourtant, Eiður Guðjohnsen a bien failli ne jamais connaître sa très belle carrière. Handicapé par une grave blessure à la cheville, les médecins lui annoncent : « Vous ne jouerez probablement plus jamais à un niveau élevé ». Mais le jeune buteur islandais a bataillé pour récupérer à 100 %. Jusqu’à gravir les échelons, en repartant de la First Division anglaise (Championship aujourd’hui) pour arriver jusqu’à la victoire en Ligue des Champions avec le FC Barcelone. Sans oublier la consécration avec la sélection à l’Euro 2016. 

Une éclosion précoce

La précocité et le football sont une affaire de famille chez les Guðjohnsen. Le papa, Arnór, n’a que 17 ans quand le petit Eiður vient au monde. Jeune attaquant, il évolue encore au Víkingur Reykjavik. Mais rapidement, il quitte le pays pour rejoindre la Belgique (Lokeren, Anderlecht). Lors de sa carrière pro, il joue également en France (Bordeaux) et en Suède (Häcken, Örebro). Avant de revenir en Islande (Valur, Stjarnan) pour y terminer son périple footballistique. Plus tard, il devient même l’agent de son fils. Dès ses 10 ans, Eiður s’initie au football. Il prend une licence avec Valur, club basé dans la capitale Reykjavik.

Pendant cinq ans, il développe ses aptitudes avec les équipes de jeunes. Mais très vite, et comme son père avant lui, il ne tarde pas pour entamer sa carrière senior. Intégré à l’équipe pro, il fait ses grands débuts en Úrvalsdeild (première division islandaise) lors de la saison 1994. Eiður n’a que 15 ans. Après sept réalisations en dix-sept apparitions, il quitte l’Islande. Sur les tablettes du PSV, il rallie Eindhoven et les Pays-Bas. Sa progression est fulgurante. Avec les Lampen, il côtoie un jeune prodige brésilien de 19 ans, arrivé de Cruzeiro l’année précédente : Ronaldo.

Ronaldo – Guðjohnsen , un duo qui aurait pu être des plus mythiques au PSV sans la blessure de l’Islandais.

« Il avait 19 ans, seulement deux ans de plus que moi, mais j’étais un garçon et il était déjà un homme. C’était l’un de ces talents où l’on ne pensait pas que  » je pourrais imiter ça  » ; il avait juste quelque chose de spécial. » – Eiður Guðjohnsen

Pour sa première expérience hors de ses frontières, l’ado s’adapte bien. Son temps de jeu est conséquent (15 matchs, 3 buts). Cependant, son ascension est stoppée nette suite à une très grave blessure à la cheville (fracture) contractée lors d’un match U-18 international contre l’Eire. Son indisponibilité est prolongée suite à une tendinite non diagnostiquée auparavant et un problème de croissance osseuse. Il galère pour retrouver la forme. Et subit au total sept opérations.  Le PSV en profite pour rompre son contrat. Sans club, il retourne très temporairement au pays avec le KR Reykjavík. Mais attiré par le bon coup, Bolton tente le pari. Et Eiður file en Angleterre.

Les succès

Situé en grande banlieue de Manchester, le club de Bolton évolue en First Division. Relégués la saison précédente, les Wanderers souhaitent retrouver au plus vite la Premier League. Eiður connait une petite phase d’adaptation. Dans un premier temps, il doit faire ses preuves. Mais à partir du mois de mars 1999, il gagne ses galons de titulaire. La saison suivante est encore meilleure. Installé dans le XI, l’Islandais de 21 ans est très productif. Ses 21 goals (toutes compétitions confondues) aident Bolton à atteindre les play-offs de Championship (sans parvenir à monter en PL) et les demi-finales de la FA Cup et de la League Cup. 

Eidur grand artisan de la superbe saison 1999/2000 de Bolton. Crédit Photo : Bolton.

À l’été 2000, après deux saisons avec les Trotters, Eiður rejoint la Premier League. Chelsea le recrute contre 4,5M£. Lors de ce mercato estival, une autre recrue offensive rejoint les Blues : l’international néerlandais Jimmy Floyd Hasselbaink. Comme à Bolton, il est d’abord contraint au statut de remplaçant barré notamment par la légende Gianfranco Zola. Cela ne l’empêche pas de marquer à treize reprises.

« Eidur était mon partenaire d’attaque préféré. Nous étions de très bons amis sur et en dehors du terrain. Je pense que le plus important, c’est que nous voulions jouer ensemble et que nous voulions que l’un et l’autre réussissent. Nous nous sommes complétés parce que certaines choses qu’Eidur n’avait pas, je l’avais et vice versa. » – Jimmy Floyd Hasselbaink

Lors de la saison suivante, il forme un duo redoutable et redouté avec Hasselbaink. Ensemble, ils claquent 52 buts sur les 96 marqués par Chelsea en 2001/02. Leur association fait merveille. Le glacial islandais et le bouillant batave. L’attaquant de soutien créateur, pourvoyeur de ballon désintéressé et le finisseur clinique, obnubilé par le but. Pourtant, Chelsea ne gagne pas de trophées (hormis un charity shield en 2000).

Avec l’arrivée du nouveau propriétaire, Roman Abramovitch, les Londoniens changent de dimension. L’oligarque russe débauche José Mourinho du FC Porto avec (presque) un chèque en blanc pour le recrutement. Le portugais amène Didier Drogba à Londres. Si Eiður participe pleinement à l’obtention du doublé (FA CUP / championnat) de 2005, l’Ivorien va inverser la tendance lors du second titre de 2006. Après six années passées dans la capitale anglaise, Eiður referme ce chapitre pour en ouvrir un nouveau en Espagne.

Eidur et le trophée de Premier League, servant également accessoirement comme miroir pour se raser. Crédit photo : Twitter Eidur.

« Madrid s’est montré intéressé en premier, mais quand le Barça est arrivé, j’ai dit : « Où dois-je signer ? » – Eiður Guðjohnsen

Le FC Barcelone souhaite un remplaçant à Henrik Larsson. Ils lâchent 8M£ pour le signer. Doublure de Samuel Eto’o, il profite de la blessure du camerounais au début de la saison 2006/07 pour marquer des points et assurer l’intérim. Statistiquement, c’est la meilleure saison de l’Islandais avec douze buts.

Par la suite, son temps de jeu se réduit, mais il parvient à saisir sa chance quand il est titularisé ou quand il entre en jeu. Lors de la saison 2008/09, il étoffe son palmarès de nombreux titres (une Liga, une Copa del Rey, une Super Coupe d’Espagne et une Super Coupe d’Europe) dont la fameuse Champions League. Premier (et seul) islandais à glaner cette prestigieuse compétition continentale, ce sacre européen est célébré par tout le pays. Après ce succès inédit et cette saison faste, il décide de partir du Barça.

Les échecs

Un an avant la fin de son contrat en Catalogne, Guðjohnsen part vers le Rocher monégasque contre 1,8M£. C’est un fiasco. Après six mois sans trouver le chemin des filets, il retrouve la Premier League à Tottenham. L’expérience n’est pas beaucoup plus concluante. Mais sa popularité outre-Manche lui permet de s’engager avec Stoke City. Cependant, Eiður est dans le dur. Tony Pulis le considère comme un remplaçant. À nouveau prêté, il essaie de se relancer à Fulham. Muet lors de son passage au Craven Cottage, même si son arrivée a fait du bien aux Lillywhite, il quitte l’Angleterre à la fin de la saison.

« Monaco ? Une erreur, un club sans âme. » – Eiður Guðjohnsen

Cette fois, il prend la direction de la Grèce. À bientôt 33 ans, il s’offre un nouveau challenge avec les Kitrinomavroi (jaune et noir) de l’AEK Athènes. Accueilli à l’aéroport par 2 500 fans, le buteur est motivé par l’enthousiasme hellène. Pourtant, l’aventure en Superleague tourne court. Après quelques mois de compétition, lors du derby contre l’Olympiakos, une collision avec le gardien adverse Franco Costanzo le laisse sur le carreau. Verdict ? Une double fracture tibia et péroné. Cela l’immobilise jusqu’à la fin de la saison.

Le rebond

« À Athènes, en fin de saison passée, j’ai été victime d’une fracture tibia-péroné. Je n’avais pas envie de terminer ma carrière sur une blessure. Je veux finir sur le terrain. Debout! Je suis trop amoureux du jeu. » – Eiður Guðjohnsen

Laissé libre par le club athénien, il fait un essai avec Seattle en MLS. Mais les Sounders ne donnent pas suite. Finalement, il trouve un nouveau point de chute en Belgique avec le Cercle de Bruges, lanterne rouge de Jupiler Pro League. Ses performances attirent la concurrence. L’autre équipe de la ville, le Club de Bruges le récupère au bout de six mois et pour 300,000€. Au total, Eiður reste un an et demi avec les Blauw en Zwart (bleu et noir).

Non conservé par le FC Bruges, il s’entraîne avec son ancien club : Bolton, à partir de novembre 2014. Après un mois de préparation, il signe un bail jusqu’à la fin de la saison. Malgré un effectif pléthorique (douze autres attaquants sous contrat), Guðjohnsen tire son épingle du jeu avec six buts en vingt-deux rencontres. Néanmoins, Bolton termine en fin de classement du Championship (18/22).

Une fin de carrière exotique

Lors du mercato estival, il accepte l’offre du Shijiazhuang Ever Bright pour participer à la Super League. Mais son séjour dans l’Empire du Milieu est de courte durée. Seulement six mois. Dès février 2016, il rentre en Europe. Molde le rapatrie en Norvège. Sous les ordres de Ole Gunnar Solskjær, il prend part à treize rencontres de Tippeligaen pour un seul petit but. Même si son contrat court sur encore un an et demi, il trouve un accord pour le résilier.

Eidur entraîné par une autre légende nordique Ole Gunnar Solskjær, sans doute les deux meilleurs attaquants de l’histoire de leur pays. Crédit photo : Molde.

« Quand vous allez en Chine, vous savez que votre situation financière sera bonne. Mais c’était plutôt que je ne voulais pas arrêter de jouer au football. » – Eiður Guðjohnsen

Malgré ses 38 ans, Eiður veut encore jouer au foot. Après la Chine, il est à nouveau sur le départ pour l’Asie. Direction l’Inde. Et la Super League. Créé en 2013, en partenariat avec IMG, Reliance Industries et Star Sports, ce championnat a pour but de développer le football dans un pays où les sports majeurs sont le cricket et le hockey sur gazon mais aussi pour accroître sa visibilité. Des anciennes gloires européennes en fin de carrière sont venues en Inde pour y faire une pige très bien rémunérée.

Guðjohnsen s’engage avec Pune City FC, l’ancien club de Kostas Katsouranis ou David Trezeguet. Cependant, blessé sérieusement à la cheville gauche, il ne porte jamais le maillot de la franchise indienne et quitte le pays un mois après son arrivée. Et plus d’un an après cet épisode malheureux, Eiður met officiellement un terme à sa carrière. Une carrière riche de vingt-deux années pro, un beau palmarès et un parcours très varié avec seize clubs fréquentés.

Parcours international

Sa carrière internationale est tout aussi précoce que celle en club. Le vivier islandais n’est pas très riche. L’île ne compte que 259 727 habitants en 1992. Et moins de 20 000 licenciés. Dès 1992, surclassé, Eiður endosse le maillot national des U17 … à l’âge de 14 ans. Après vingt-sept matchs et neuf buts, il rejoint les U19 (9 matchs, 2 buts) et dans la foulée les U21 à 16 ans. Il joue dans cette catégorie jusqu’en 1998. Mais il connait les honneurs de la sélection A lors d’un match amical en avril 1996. Pour sa première cape avec les Strákarnir okkar, il entre (avec son père) dans l’histoire du football. La rencontre se déroule à Tallinn contre l’Estonie. Et dès la reprise de la seconde période, Guðjohnsen remplace Guðjohnsen. Titulaire au coup d’envoi, Arnór (presque 35 ans) cède sa place à Eiður (17 ans).

Un changement pour l’histoire du football, mais aussi pour Eidur qui avait toujours rêvé de jouer avec son idôle et pour Arnor avec sa plus grande fierté. Crédit photo : Instagram Eidur.

C’est inédit. Mais tous deux sont déçus de ne pas avoir joué ensemble cette partie. En fait, le président de la fédération islandaise : Eggert Magnússon voulait organiser une grande fête pour le prochain match devant le public islandais, lors du premier de la campagne de qualification pour la Coupe du Monde 1998, à domicile contre la Macédoine. Ironie du sort, Eiður se casse la cheville avec les U18. Immobilisé de très longues semaines (voir ci-dessus), il n’est pas de la partie. Quand il est enfin rétabli, et à nouveau disponible pour la sélection, son père a mis un terme à sa carrière internationale. C’est l’un des grands regrets de Arnór. En effet, papa Guðjohnsen en avait rêvé depuis ses 25 ans. Avec 91 sélections et 26 buts, le fiston devient le meilleur buteur de l’histoire de l’Islande. Sa carrière s’étale sur deux décennies.

« Il a souvent commencé les qualifications de l’Euro sur le banc, mais il était fantastique et son soutien était incroyable. Sur le terrain, il est encore capable de choses magiques. » – Lars Lagerbäck

À ses débuts, l’île volcanique est un petit Poucet à l’échelle mondiale. Mais, petit à petit, l’Islande va se structurer, progresser et se qualifier pour un tournoi international : l’Euro 2016. Une grande première. Sous la direction de Lars Lagerbäck, l’Islande connait une amélioration du style de jeu, des entraînements et une mentalité exemplaire. Fer de lance de l’attaque, Eiður évoque son possible retrait du football international en 2013. Mais après dix huit mois d’absence, il revient en sélection.

Il marque contre le Kazakhstan lors des qualifications pour l’Euro 2016. Surprise de l’édition, ils atteignent les quarts de finale contre la France (défaite 5-2) après avoir éliminé l’Angleterre. En vingt ans, l’Islande est passée de 60ème rang mondial au 21ème. À 37 ans, Eiður participe (enfin) à sa première grande compétition en sélection. Dans le rôle de grand frère, il encadre la génération dorée des Alfreð Finnbogason, Kolbeinn Sigþórsson ou Gylfi Sigurðsson et joue quelques minutes contre la France. À l’issue du match, il arrête la sélection.

 

Sans doute pas la dernière fois après la retraite d’Eidur que l’on verra le nom de famille Guðjohnsen floqué sur le maillot Islandais de la sélection A…

Attaquant vedette de l’Islande, le parcours exceptionnel de Guðjohnsen a mis un coup de projecteur sur cette petite île nordique, plus connue pour sa nature sauvage que pour son football. Actuellement co-sélectionneur de l’Islande U21, il se dirige vers une reconversion proche des terrains. Et pourquoi comme N°1 à plus long terme ? Après avoir été le fils de, Eiður est devenu le père de trois garçons. Tous sont footballeurs : Sveinn Aron (20 ans, Ravenna prêté par Spezia), Andri Lucas (17 ans, Real Madrid) et Daníel Tristan (12 ans, Real Madrid). La saga Guðjohnsen est loin d’être terminée pour notre plus grand plaisir.

 

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