Un français organisateur de rencontres internationales et scout pour un club danois, ce n’est clairement pas banal. Mais nous avons eu la chance d’échanger avec Alain Rohou qui combine ces deux activités au quotidien.

À travers cette interview, il a pu nous partager ses expériences lors de ces nombreux voyages et matchs organisés comme pour la 1re victoire officielle du Kosovo ou des improbables rencontres entre l’Irak et l’Ouganda ou encore de l’Estonie contre Saint Kitts et Nevis. Mais également son expérience récente en tant que scout au sein du club de D1 Danoise, l’Odense BK, où il scrute les championnats français et belges des divisions inférieures.

Bonjour Alain Rohou, tout d’abord pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Vous avez toujours été dans le monde du football ?

Disons que j’ai toujours été fan de foot ! J’ai commencé à fréquenter les stades en tant que supporter à mes 9 ans à Guingamp à Roudourou lors de la saison 95/96. La passion part de là. Un soir de juillet 1995 (Guingamp vs Martigues).

J’ai toujours voulu travailler dans ce milieu. Seulement mon piètre niveau technique ne me laissait aucune chance sur le terrain, il fallait donc trouver une autre voie pour intégrer ce microcosme. C’est par les études et notamment une fois mon diplôme en droit du Sport (obtenu à l’université de Nice) en poche que j’ai réellement commencé à exercer. Lors de mon stage de fin d’étude j’ai intégré Sport Global Management qui organise des matchs de foot internationaux. Cela fait 10 ans maintenant.

Vous travaillez donc au sein de la société Sport Global Management, qui propose de nombreux services dans le football, quels sont tels et quel est votre rôle à vous ?

Il y a plusieurs facettes. Cela va de l’activité d’agent de joueurs, mais aussi
d’entraineurs/sélectionneurs, à l’organisation de matchs internationaux qui est l’activité principale avec tout ce qui gravite autour à savoir, certes l’aspect organisationnel du match en tant que tel, mais aussi la commercialisation des droits marketing, média, le sponsoring, la production tv…

Mon rôle c’est véritablement celui d’organiser les matchs. Je recense les besoins de chaque fédérations (mais aussi des clubs) et j’essaie de faire coïncider les exigences des unes et des autres en termes de types d’adversaires souhaités, du lieu de la rencontre, tout cela en étant hyper dépendant d’un calendrier très réduit au regard du peu de fenêtres internationales. C’est de l’intermédiation.

Faire le lien entre les différents pays pour arriver à leur proposer la meilleure solution de match possible et leur fournir un accompagnement physique au quotidien. J’attache beaucoup d’importance à me rendre personnellement sur place afin de créer du liant entre pays qui parfois ne parlent pas la même langue et veiller au respect des conditions de matchs préalablement établis dans un cahier des charges. D’ailleurs je rentre tout juste de République Dominicaine et du Panama, pays où j’ai organisé les matchs de l’équipe de Serbie.

Lors de l’organisation de matchs internationaux, avez-vous eu des moments marquants où le football a surpassé certains aspects notamment la géopolitique ?

C’est exactement ce que je recherche à vrai dire lorsque j’organise des matchs. Que le foot soit au-dessus de tout et créateur d’unité peu importe les pays avec lesquels je travaille, leur langue, leurs coutumes, … Vous savez l’organisation d’un match c’est en théorie assez simple. Il faut un accord tripartite. Le pays hôte, le pays qui se déplace et l’agent. Parfois une quatrième partie lorsque le match se déroule sur terrain neutre, mais cela reste l’exception. Donc brièvement, ces trois parties que je viens de citer, elles ont chacune leur propre culture, leur propre religion, leur propre patriotisme, parfois des langues différentes, tout ce que vous voulez mais in fine nous avons lorsque nous travaillons ensemble un seul un unique objectif commun, un match de football à disputer.

Dès lors chacun doit y mettre un peu du sien de façon à créer une synergie positive pour rendre l’évènement possible. Alors oui je dois adapter mon comportement, mon attitude selon la nation avec qui je traite, c’est aussi une forme de respect. Mais la délégation qui se déplace chez la fédération hôte doit elle aussi s’adapter aux usages du pays où elle se trouve. Tout comme la fédération d’accueil qui parfois doit trouver à s’organiser pour se plier (de bonne grâce) aux exigences de l’équipe visiteuse.

Je me souviens d’une anecdote en particulier lorsqu’en 2011 j’étais en Irak avec d’Ouganda. L’équipe d’Ouganda perd tous ses équipements lors d’une escale pendant son voyage. Je l’apprends seulement la veille du match. Un vendredi pour un match le samedi. Il faut savoir que le vendredi en Irak c’est l’équivalent du dimanche en Europe occidentale, tout est fermé ! Énorme panique en somme mais grâce à l’aide de la fédération irakienne, ils nous ont fait rouvrir rien que pour nous certains magasins, certains marchés, ils se sont vraiment décarcassés pour que l’Ouganda puisse pour se
racheter des nouveaux crampons, protège tibias, gants….

Le soir après le match nous en avons souri et nous nous sommes tous retrouvés à manger à la même table sans faire de différence entre l’appartenance d’une personne à tel ou tel pays. Au départ sur le papier ce n’est pas forcément gagné pour se dire que ces deux nations vont développer des atomes crochus. Mais à ce moment-là seul le simple fait de jouer ensemble un match amical de foot comptait.

Aussi au Kosovo en 2014 deux moments assez touchants. J’étais à Pristina pour organiser Kosovo contre le Sultanat d’Oman. La veille de match avec des membres de la délégation kosovare et omanaise nous nous sommes rendus ensemble au Kosovo Museum qui retrace les étapes de la récente indépendance du pays en 2008. Il y avait un réel intérêt des omanais à s’intéresser à l’histoire d’un pays qui n’est pas le leur. Ils auraient pu rester tranquilles à l’hôtel à profiter de la piscine et des saunas, mais ont préféré venir s’instruire sur leur hôte. Il y avait tout autant de plaisir aux membres de la délégation kosovare à répondre avec bienveillance à leurs questions.

Enfin toujours sur ce match, le jour de la rencontre, le Kosovo l’emporte 1-0. La première victoire en match officiel pour le pays. Je voyais certaines familles de 3 générations pleurer dans le stade. A ce moment précis c’était très émouvant je m’en souviendrais toute ma vie. Si je ne devais garder qu’un souvenir ce serait celui-là. Je ne sais pas comment l’expliquer mais c’est comme si un sentiment de libération, de brève euphorie collective après une période si difficile pour la population avait envahi le stade.

Depuis août 2020, vous êtes scout au sein du club de l’élite danoise, l’Odense Boldklub, comment s’est présentée à vous cette opportunité et sur quel championnat/pays vous êtes-vous centré ?

Je recherchais un club, un nouveau projet en plus de mes activités précédemment évoquées, dans lequel m’impliquer. J’ai sollicité pas mal de clubs, un jour j’ai envoyé mon profil à Ole Nielsen le Chief scout du club. Il m’a de suite répondu favorablement. Le lendemain le contrat était signé.

Je base mes recherches sur le territoire que je connais le mieux, à savoir la France. Il est inutile pour nous de regarder la Ligue 1 voir le haut de tableau de Ligue 2. A ce niveau-là les joueurs sont déjà hors de portée financièrement pour notre club. Je me concentre ainsi principalement sur le championnat National et les championnats inférieurs où évoluent les réserves d’équipes professionnelles ainsi que sur les catégories de jeunes u19. Je regarde aussi beaucoup la première et seconde division belge.

Comment s’organise votre travail de scout au quotidien à distance et surtout dans cette situation actuelle et comment préparez-vous un mercato ?

Wyscout plus les matchs en live ou en replay. Il m’arrive d’avoir 3 écrans en même temps. J’essaie de regarder un maximum de matchs par semaine de dégager une short list de joueurs pour les postes que nous recherchons pour renforcer notre équipe. Puis il n’empêche que malgré le contexte sanitaire, rien ne nous empêche de travailler. Rien ne vaut le terrain c’est vrai, mais même avec la vidéo cela nous donne déjà une bonne idée du joueur et une prise de contact rapide avec ses représentants en cas d’intérêt afin déjà d’évaluer la réalité économique et sportive d’un éventuel transfert.

Ensuite lorsque j’ai la chance d’organiser des matchs à l’international c’est vrai que j’en profite pour observer des joueurs qui seraient susceptibles de venir nous renforcer. Ça a été le cas notamment lors de mon voyage aux Caraïbes, il y a deux trois joueurs qui m’ont beaucoup plus et pour lesquels je dois étudier ces prochains jours leurs profils pour qui sait les faire venir à Odense.

Le football tend de plus en plus vers la data, l’utilisez-vous beaucoup en complément de votre observation au stade et en vidéo ?

Pour être honnête très peu. Je me fie principalement à ce que je vois à travers les matchs. Alors oui l’aspect statistique est important mais à mon niveau ce qui m’importe c’est de connaitre avec précision le temps de jeu d’un joueur sur les dernières saisons et surtout si c’est le cas, comprendre les raisons pour lesquelles il n’ait pas ou peu joué, ses performances en termes de passes décisives ou buts pour les joueurs offensifs, la régularité de leurs blessures.

Le fait de savoir qu’un des joueurs observés a parcouru tel nombre de kilomètres, à effectuer tel nombre de sprints, a couru tel nombre de fois à gauche ou à droite, cela c’est plus du ressort de notre analyste vidéo.

À Odense, vous êtes 11 scouts, êtes-vous surpris de voir un club danois aussi structuré avec autant de scouts en comparaison de certains clubs de l’élite française par exemple ?

Chief ScoutFranceDanemarkRoyaume-UniEspagneItaliePortugalBrésil
Ole NielsenAlain RohouNikola DrejerSam O’Sullivan BarkerJosé Manuel Bonilla BravoMauro ManzoniThiago PiresRafael Barros
Anthony EtevePatrick JohansenSimone Vitali

Oui c’est vrai j’ai été assez surpris, c’est un nombre important certes. Mais lorsque vous êtes au Danemark, vous n’avez pas la puissance financière d’autres clubs d’Europe Occidentale. Donc vous devez vous focaliser sur d’autres marchés, d’autres profils de joueurs sur lesquels les autres clubs ne vont pas ou peu, ou tout simplement n’ont pas la structure humaine nécessaire pour les observer.

On multiplie les yeux pour diminuer les coûts d’un transfert ou salaire d’un joueur déjà confirmé en quelque sorte.

Pour finir, de votre expérience dans le football à travers vos différents métiers, que pourriez-vous nous dire sur votre vision du football et son évolution ?

La vision que j’essaie d’avoir du foot c’est une vision mondialisée. Le foot va en ce sens, il n’y a qu’à voir les prochaines Coupes du Monde qui vont s’ouvrir à de plus en plus de pays. Regardez la Coupe du Monde aux USA en 2026, il y aura 48 équipes qualifiées. Lorsque j’organise des matchs c’est un modèle que j’essaie de reproduire, de faire rencontrer des équipes qui a priori jamais ne joueraient l’une contre l’autre. Les équipes d’un même continent, d’une même confédération se connaissent tous, ils n’ont pas besoin de moi pour jouer entre elles. Ainsi, il m’est déjà arrivé de la part de certaines fédérations de les entendre me demander de leur situer le pays de leur adversaire sur le globe.

A titre d’exemple, en 2015, j’ai organisé Estonie contre Saint Kitts et Nevis…en novembre à Tallin. Choc thermique pour les caribéens. Un remake de Rasta Rocket. Un match improbable sur le papier, l’équipe d’Estonie, contre Saint Kitt coachée à l’époque par un Mexicain, et match organisé par un français c’était hyper enrichissant. Le coach de l’époque de Saint Kitt est aujourd’hui le sélectionneur de la République Dominicaine. C’est l’une des personnes les plus brillantes que je connaisse dans le monde du foot. J’espère qu’il aura l’occasion de venir en Europe faire ses preuves.


Un grand merci à Alain Rohou pour cet échange. Nous lui souhaitons le meilleur à Odense, en espérant bientôt y voir des joueurs venant de France. Mais également encore de nombreux bons moments humains et historiques lors de l’organisation de matchs internationaux.

Vous pouvez le retrouver sur sa page LinkedIn.

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