Fin d’après-midi à Reykjavík, la pluie tombe dru. Le froid pénètre mes vêtements et je regrette de ne pas m’être plus couvert. Et ce bus qui n’arrive toujours pas ! Je regarde ma montre toutes les vingt secondes, je ne risque pas de rater le coup d’envoi mais je ne vais pas avoir l’occasion de profiter longtemps de l’ambiance d’avant-match. Le strætó numéro 17 se présente enfin, je m’engouffre à l’intérieur mais je dois encore prendre mon mal en patience : le trafic est dense à cette heure… Autour de moi, presque personne. Les quelques visages que j’observe sont fermés, l’air absent. Difficile d’imaginer que dans moins d’une heure la sélection nationale islandaise va jouer LE match. Celui qui peut amener le pays vers sa première coupe du monde. Il ne suffit que d’un succès face au modeste Kosovo pour assurer la première place de ce groupe I si relevé. Facile. Trop facile… Les doutes m’assaillent : et si la pression était trop forte ? Si l’équipe s’effondrait ? Non, impossible. Pas après s’être imposé 0-3 en Turquie. Pas dans cette forteresse imprenable qu’est devenue le Laugardalsvöllur. Invaincue depuis plus de quatre ans à domicile, l’Islande y est intraitable dans cette phase de qualifications : quatre victoires en autant de matchs, trois clean sheet. Par la fenêtre, j’aperçois finalement les projecteurs du stade. C’est l’heure d’écrire l’Histoire.

Le calme avant la tempête

Le public se presse sur le chemin du stade mais, même si la pluie s’est quelque peu calmée, l’ambiance est somme toute banale. Après avoir longé le stade du Þrottur, sur lequel s’entraînent encore des irréductibles, je tombe sur le cortège du groupe de supporters Tólfan. D’habitude bruyant et festif, il me paraît cette fois bien terne, les quelques chants lancés sont peu repris. L’ambiance est électrique. Peut-être suis-je tellement tendu que je n’arrive pas à saisir l’enthousiasme de la foule ? Non, même sur le parvis devant la tribune officielle où a été installé une fan zone avec écran géant et aire de jeux pour enfants, tout est relativement calme. Chacun porte fièrement les couleurs du pays et je culpabilise d’avoir laissé tous mes maillots en France… J’achète donc une écharpe, ce ne sera de toute façon pas de trop, la température avoisine les cinq degrés. Dessus est brodé « Ísland á HM », l’Islande à la coupe du monde, ce serait donc dommage de se rater ce soir… Comme le stade a tendance à se remplir au dernier moment (et que je veux vite me mettre à l’abri), je me dirige rapidement vers l’entrée de ma tribune. Pas de queue, pas de fouille, la vie est belle. Aucun mal à trouver ma place, plein axe et juste au-dessus du Kop : parfait ! Les joueurs terminent leur échauffement quand les premiers chants, à commencer par le désormais traditionnel Ég er kominn heim, s’élèvent des tribunes. Cette fois la mèche est allumée, le stade est plein à craquer, prêt à vibrer. L’ambiance décolle et ne redescendra plus.

Début de match délicat, Gylfi en héros

Heimir Hallgrímsson a choisi de revenir au 4.5.1 avec la titularisation d’Emil Hallfreðsson (suspendu lors du dernier match) au milieu de terrain. C’est Alfreð Finnbogason qui en fait les frais et sort du onze puisque Jón Daði Böðvarsson, excellent en Turquie avec deux passes décisives à la clé, lui est préféré à la pointe de l’attaque. Dès le coup d’envoi, toute la tribune est debout et tout le monde s’époumone. Hommes, femmes et enfants, jeunes ou vieux, c’est tout un pays qui pousse derrière son équipe. Pourtant, sur le terrain, les débuts sont timides. Le Kosovo garde le ballon et il faut attendre la fin du premier quart d’heure avant de voir l’Islande prendre le cours du jeu, sans toutefois se montrer bien dangereuse. Un tir de loin par-ci, un centre fuyant par-là… Le tout est assez poussif contre un adversaire qui, très limité techniquement, a au moins le mérite d’essayer de jouer. Les duels sont accrochés, le temps défile et un premier frisson traverse le stade lorsqu’un visiteur prend sa chance de l’extérieur de la surface et voit son tir frôler le but d’Hannes Halldórsson. On approche alors de la mi-temps, et sur une longue ouverture d’Aron Einar Gunnarsson, la défense kosovare tergiverse et remet la balle plein axe sur… Gylfi Sigurðsson. Face au but, le génial meneur de jeu crochète son vis à vis, obtient un contre favorable qui lui permet de réaliser un double contact magique du tibia et tire au but en force. C’est dedans, les tribunes explosent, enfin. Le stade chavire de bonheur.

Quatre buts pour Gylfi durant ces qualifications | via Fótbolti.net – Anna Þonn

Tout le stade ? Non, Heimir reste assis sur son banc, le regard noir, sûrement insatisfait de la production de ses joueurs. Mais le plus important est fait avec cette ouverture du score et les cinq minutes jusqu’à la pause seront indescriptibles, je suis submergé par l’émotion (non, je n’ai pas pleuré). L’euphorie ne redescend pas au retour des vestiaires malgré une équipe du Kosovo qui s’enhardit et qui semble désormais capable de se créer des situations dangereuses. C’est alors l’heure de jeu et un murmure parcours le stade : la Croatie vient d’ouvrir le score en Ukraine. Cela veut dire que l’erreur est interdite, tout autre résultat qu’une victoire ramènerait l’Islande à la seconde place. Le souvenir douloureux des barrages pour le mondial brésilien est encore présent, le doute revient dans mon esprit. Mais comme portés par les pensées de leurs supporters, voilà que Birkir Bjarnason et Gyfi combinent côté gauche. Ce dernier, dans tous les bons coups, déborde son adversaire et centre fort vers le but… Jóhan Berg Guðmundsson jaillit entre deux défenseurs et propulse le cuir au fond des filets. Cette fois c’est une certitude : l’Islande verra bien la Russie ! La tribune tremble sous mes pieds, les vingt dernières minutes ne sont que danses et accolades de tous les côtés. Sur le terrain, l’Islande gâche quelques occasions d’alourdir le score en contre. L’arbitre donne enfin le coup de sifflet final, victoire 2-0, les joueurs peuvent à leur tour exulter.

« C’est ridicule »

Un feu d’artifice est immédiatement tiré pour saluer l’exploit que vient d’accomplir la sélection qui représentera le plus petit pays (en nombre d’habitants) lors d’une phase finale de coupe du monde. Les joueurs viennent évidemment saluer le public, le célèbre clapping est réalisé sous l’œil de toute l’Europe.

Dans quelques mois, c’est le monde entier qui découvrira la ferveur islandaise. L’équipe est acclamée jusqu’à ce qu’elle regagne les vestiaires, les tribunes commencent à se vider. Je reste pour ma part en place, bien décidé à savourer le moment jusqu’à la dernière seconde. Bien m’en a pris, puisqu’après quelques minutes où le Kop est resté à chanter sa joie, voilà que Heimir Hallgrímsson se présente face à lui ! Après avoir reçu une ovation ô combien méritée, il livre à chaud une brève analyse du match. Mon niveau en langue islandaise étant relativement approximatif, vous m’excuserez de ne pas pouvoir en livrer la teneur…. Un grand moment tout de même ! Vient alors l’heure de quitter le stade et de rentrer directement sans pouvoir profiter des festivités en centre-ville qui dureront une bonne partie de la nuit. Ivres de joie, les Islandais n’en demeurent pas moins abasourdis par les performances de leur sélection et beaucoup ne réalisent pas encore la portée de ce qu’elle vient d’accomplir. Comme ce collègue de travail qui m’assure que « L’Islande ne peut pas aller à la coupe du monde, c’est ridicule »… Non, l’été prochain aura bel et bien l’accent russe sur l’île de l’Atlantique Nord. Et c’est on ne peut plus mérité !

Dans la légende ! | via ksi.is

Classement et Résultats

Classement final du groupe I | via uefa.com

Croatie : 0-2 / 1-0

Ukraine : 1-1 / 2-0

Turquie : 2-0 / 3-0

Finlande : 3-2 / 0-1

Kosovo : 2-1 / 2-0

 

Image à la Une : Nordisk Islande

 

Laisser un commentaire