Tout aurait pu s’arrêter là, le 12 juin à 18h42. Alors que l’on approche de la fin de la première période d’un Danemark – Finlande jusque-là copieusement dominé par les Rød-hvide, Christian Eriksen s’effondre, inanimé, sur la pelouse du Parken de Copenhague.

Les images sont effrayantes. Les appels à l’aide, les larmes de ses coéquipiers et adversaires ne le sont pas moins. Inutile de nous refaire le film de ces minutes interminables. Elles sont gravées en chacun de ceux qui étaient assis devant leur téléviseur ou en tribunes pour ce match. À l’incompréhension succèdent la peur, l’angoisse, l’attente. Et enfin, l’espoir. L’espoir d’une photo de Christian quittant la pelouse sur civière et sous assistance, certes, mais conscient ! Entouré par ses coéquipiers, comme à chaque seconde depuis son malaise, le champion qu’il est vient de gagner son plus beau match. Parmi les protagonistes clé de cette victoire -et ils sont nombreux-, prenons le temps de parler de Simon Kjaer. Par son geste peut-être salvateur auprès de son ami à terre, par son sang-froid et le poids immense de l’évènement qu’il a pris sur ses épaules au moment d’aller réconforter coéquipiers et compagne de Christian Eriksen, il a montré dans ces instants incertains ce que signifiait le mot « capitaine ». L’arbitre anglais Anthony Taylor a, lui, permis une intervention efficace des secours par sa réaction rapide. Mais surtout, impossible de ne pas rendre un énorme hommage aux équipes médicales qui ont lutté et réalisé ce qui s’apparente à nos yeux de supporters, à un miracle. Qui aurait pu en vouloir aux joueurs danois, choqués et submergés par des émotions que l’on ne peut concevoir, de jeter l’éponge lorsque la peu scrupuleuse UEFA leur a semble-t-il demandé de reprendre le match au plus vite ? Tout aurait pu s’arrêter là, mais le Danemark en a décidé autrement.

Dans les travées du Parken résonnent des cris et des chants à la gloire du numéro 10. Aux « CHRISTIAN ! » émanant des parcages finlandais, les supporters danois répondent « ERIKSEN ! » avec une force et une conviction à en faire trembler les murs de Copenhague toute entière. Magnifique. Finalement, les 22 acteurs remontent sur la pelouse sous des applaudissements nourris. Deux heures après son interruption, la rencontre va se poursuivre. S’il apparaît que les joueurs de Hjulmand n’ont accepté de reprendre qu’après avoir reçu des nouvelles pleinement rassurantes de leur coéquipier, le sélectionneur lui-même a semble-t-il su trouver les mots justes. Proche de ses hommes, adepte d’un coaching inclusif et participatif, l’ancien entraîneur de Nordsjaelland accorde toujours une part importante à la communication au sein du vestiaire. Au-delà de ça, il avait malheureusement connu une expérience similaire et dramatique auparavant, son oncle étant en effet décédé d’un arrêt cardiaque sur un terrain de football. « Mes sentiments ont ressurgi, j’ai tenté d’y faire face » déclarait-il quelques jours plus tard, avant d’insister sur le rôle de Morten Wieghorst, qui lui s’était battu contre un syndrome de Guillain-Barré en 2000, alors qu’il était âgé de 29 ans et jouait en Ecosse. « J’ai un fantastique entraîneur adjoint, avec toute son histoire sur son passage au Celtic où il était tombé malade. Il a dû se battre pour revenir à la vie ». Voilà sans doute quelques éléments de la force d’un groupe désormais soudé par des sentiments indicibles. Toujours est-il que ce jour-là, l’émotion est trop vive, la marche trop haute. La Finlande ouvre le score par Pohjanpalo, Pierre-Emile Højbjerg manque le pénalty de l’égalisation et le Danemark s’incline. À cet instant, l’essentiel est bien évidemment ailleurs.

Les messages de soutien à Christian Eriksen se sont multipliés durant la compétition. (Photo compte Instagram DBU)

Cinq jours plus tard, ce sont des Rød-Hvide encore touchés mais regonflés à bloc qui défient la Belgique, avec l’envie de faire honneur à leur star toujours hospitalisée. De l’aveux même de Kasper Hjulmand, certains joueurs sont pris de vomissements au moment de retrouver les vestiaires du Parken avant le match. Dans une ambiance volcanique, ils vont cependant livrer une prestation époustouflante ! Dès la 2e minute, Yussuf Poulsen profite d’une mauvaise relance belge pour ajuster Courtois et donner l’avantage aux siens. Maehle, puis Damsgaard seront ensuite tout proches de faire le break. Mais le destin est bel et bien décidé à mettre des bâtons dans les roues danoises. À la 54e, Simon Kjaer, symbole de l’esprit de corps de sa sélection, glisse au départ d’un contre des Diables Rouges et laisse filer Lukaku vers le but de Schmeichel. Parfaitement servi par De Bruyne, Thorgan Hazard conclut et égalise. Quelques tours de passe-passe et un superbe enchaînement collectif plus tard, le meneur de jeu de Manchester City permet à la Belgique de passer devant, 2-1. Pourtant, le Danemark ne s’avoue pas vaincu et le public continue à donner de la voix lorsqu’à la 87e minute, Martin Braithwaite place un astucieux coup de tête sur l’équerre d’un Courtois battu. La frappe de Mathias Jensen dans les dernières secondes du temps réglementaire passera à quelques centimètres de l’autre lucarne belge. Au coup de sifflet final, difficile de ne pas avoir de regrets pour les Danois. Une qualification pour les 1/8e de finale est désormais improbable, tant la situation paraît compliquée et les raisons de baisser les bras, nombreuses.

Les joueurs danois ont pu compter sur l’immense soutien de leurs supporters…

Oui, sauf qu’à l’image de son jeu, le Danemark va de l’avant ! Il dribble la fatalité, sans jamais renoncer. Du staff au public, du peuple danois aux médias, tout le monde y croit, chacun joue son rôle. Pour Christian et parce que ces 26 garçons donnent tout ce qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes à chaque minute passée sur le terrain. Quand la Russie se met sur son chemin lors de la rencontre de la dernière chance pour la qualification, le royaume a besoin d’une victoire par deux buts d’écart minimum et d’une défaite de la Finlande face à la Belgique déjà qualifiée. C’est peu dire que les spectateurs du Parken Stadium sont passés par tous les états durant ces quatre-vingt-dix minutes ! L’optimisme d’abord, lorsque l’envoûtant Mikkel Damsgaard envoie de l’intérieur du pied droit une merveille de frappe flottante dans la lucarne à la 38e minute. L’euphorie ensuite, alors que Yussuf Poulsen intercepte une passe en retrait mal assurée de Zobnin avant de tromper Safonov (59e). Un but de la Belgique, et le Danemark serait qualifié ! Au contraire, c’est l’inquiétude qui s’installe au moment où un Clément Turpin pas très inspiré désigne le point de pénalty, permettant à la Russie de revenir à 2-1 grâce à Dzyuba après 69 minutes de jeu. Quelques secondes plus tôt dans l’autre match, l’ouverture du score de Lukaku était annulée pour hors-jeu, ajoutant à la tension en tribunes danoises. Ce n’était cependant qu’une question de temps de ce côté-là, puisque Hradecky contre son camp permettait cinq minutes plus tard à la Belgique de prendre un avantage définitif et amplifié par Lukaku à la 81e. Comment décrire alors, le vacarme incroyable et la joie collective extatique déclenchés par le missile victorieux de Christensen, à la retombée d’un mauvais renvoi russe à dix minutes de la fin ? À cet instant, le stade, le pays, l’Europe se sont embrasés pour la magnifique histoire que Kasper Hjulmand et ses hommes étaient en train d’écrire. Le contre conclu par Maehle dans les secondes suivantes n’a rendu la fête que plus belle. L’exploit est là. Le Danemark termine 2e de son groupe et poursuit sa route contre vents et marées.

Résumé de la folle soirée du 21 juin

Tandis que se profilent les huitièmes de finale, les parallèles avec la Danish Dynamite de 1992 fleurissent, et l’on se met à croire à une fin heureuse, impensable quelques jours auparavant. Face aux assauts de vikings toujours aussi tranchants, Gareth Bale et ses compatriotes sont submergés. Damsgaard régale, Dolberg inscrit un doublé, Maehle et Braithwaite finissent le travail. 4 – 0, la conquête se poursuit. La résistance est plus farouche contre les Tchèques en quart-de-finale. Un coup de tête de Delaney dès la cinquième minute met pourtant le Danemark sur le bon chemin, avant que Maehle, d’un centre extérieur pied droit venu d’ailleurs, ne permette à Dolberg de faire le break juste avant la mi-temps. Mais Patrick Schick réduira le score, et il faudra encore une grosse force collective danoise ainsi qu’un Schmeichel décisif pour décrocher une place en demie. C’est ainsi que le destin de ce groupe a fini par se jouer contre l’Angleterre, dans un Wembley acquis à la cause des Three Lions. Là encore, les Rød-hvide parviennent à ouvrir le score par l’inévitable Mikkel « Damsgoal » d’un somptueux coup-franc ! Cependant, pour la première fois de la compétition, ils subissent une grande partie du match et ne parviennent pas à prendre le jeu à leur compte. Bousculés, usés, rejoints au score sur un CSC du capitaine courage Simon Kjaer, ils s’accrochent et résistent grâce à une solidarité sans faille et un Schmeichel encore inspiré. Il faudra une action rocambolesque en prolongations pour mettre fin à l’épopée de la Danish Dynamite nouvelle génération. Un deuxième ballon sur le terrain à moins d’un mètre cinquante de l’action que l’arbitre ne juge pas interférent, un pénalty litigieux accordé à Sterling, et les vikings rendent les armes. La fin est brutale, cruelle, mais ne doit en aucun cas faire oublier ce qui a été accompli jusque-là.

Mikkel Damsgaard, symbole de ce Danemark survolté, après son but en demi-finale. (Compte Instagram DBU)

Le groupe danois dans son ensemble nous a fait vivre une aventure sportive et humaine magnifique. Uni et solidaire, il s’est relevé malgré l’épisode traumatisant du début de compétition. L’impact du malaise d’Eriksen se lit pourtant dans les mots de Kasper Hjulmand quelques jours après l’élimination. « Je ne l’ai pas encore fait traiter correctement. Je n’en ai pas fini du tout. Avouait-il. Il faudra du temps pour réfléchir et en parler ». Certains ont été plus touchés que d’autres. Tous sont changés. Comment ne pas être stupéfait par la transformation de Damsgaard ? Jeune espoir au visage poupon, inconsolable lorsque son idole devenue coéquipier était à terre, il s’est mué en leader technique et artilleur en chef habité par une rage de vaincre qui se lisait sur ses traits au moment de célébrer ses buts. Qui avait déjà vu Kasper Dolberg, surnommé « Iceman » et connu pour son flegme, bondir, rire et hurler comme il l’a fait par exemple sur le but de Christensen face à la Russie, avant de planter 3 buts lors des deux matchs suivants ? Se souvient-on aujourd’hui que Joakim Maehle, piston fondamental de ce parcours, ne comptait que trois titularisations en compétition sous le maillot danois avant l’Euro ? Ces garçons-là, comme leurs coéquipiers, ont grandi bien au-delà du jeu. Mieux, ils ont fait vibrer, pleurer, frissonner des millions de personnes pendant un mois. Ils nous ont rappelé aussi, que lorsqu’on joue, lorsqu’on aime le football, on n’est jamais seul. Oui, ces vikings-là ont déplacé des montagnes par amour du maillot, du jeu et de leur numéro 10.

Alors, pour tout ça, merci. Ou plutôt « Tak, Danmark ! », comme on dit chez toi.

Laisser un commentaire