Comment un club situé en pleine campagne danoise, dans un bled d’à peine 50 000 habitants et né d’une fusion entre deux clubs insignifiants en 1999, s’est-il transformé en une véritable machine à sous. Réponses entre la Jonelière, Mohamed Zidan, joueurs africains et  mix entre Kavinsky et Coldplay.

Les rues désertes d’Herning l’hiver. Ville qui abrite pourtant le club de Midtjylland, dernier champion en titre du Danemark et à la politique de transferts exemplaire.

Le transfert rocambolesque de Dominick Drexler

L’été dernier, l’habileté des dirigeants du FC Midtjylland sur le marché des transferts atteignit un nouveau sommet avec un transfert qui a provoqué des rires jaunes chez la concurrence. Nous sommes en mai 2018, le Holstein Kiel perd son match de barrages contre Wolfsburg, et reste donc en Bundesliga 2. Quelques jours plus tard, “Ulvene” (Les Loups, surnom du club danois) annonce un accord avec Dominick Drexler, grand artisan de cette belle saison du club nord-allemand avec onze buts et douze passes décisives. Le joueur offensif avait des propositions en Bundesliga, mais était désireux de jouer l’Europe (le club ratera finalement la qualification pour la C1 puis la C3). Une bonne affaire pour tout le monde semble-t-il, dans laquelle le FCM s’acquitte de la somme de 2,5M€ tout de même (record du club égalé), pour un joueur de 28 ans.

Un mois plus tard, coup de tonnerre. L’Allemand regrette son choix et veut rentrer au pays. Stupeur générale. Les dirigeants jutlandais qui plaçaient beaucoup d’espoirs sur l’Allemand pour leur faire passer un cap, ne veulent pas le brader. Le 20 juillet, la nouvelle tombe. Drexler rejoint le FC Cologne, tout juste 53 jours après avoir signé au FCM et sans avoir joué un seul match. Le joueur, étant originaire de la région de Cologne, parlera d’un “rêve d’enfant”, mais pas sûr que cela intéresse grand monde. Le prix du transfert, de l’ordre de 4,5M€, est intéressant, lui. Les Loups réalisent un bénéfice de 2M€, une somme conséquente pour un club danois, et un exemple de l’insolente réussite sur le marché des transferts des dirigeants des Loups.

Une photo sous le maillot de Midtjylland pour l’histoire, Dominick Drexler n’aura joué aucune minute avec le club danois. Encore plus fort que Florian Thauvin avec Lille.

Car il faut remettre les choses dans leur contexte. Bien que le marché mondial des transferts ait explosé ces dernières années, les transferts sur le marché danois se font à des prix bien moindres. Un montant de 2M€ représente un pactole considérable dans un championnat qui n’achète jamais au-dessus de la barre des 4M€. La Superligaen, le championnat danois, sorte d’antichambre des championnats belges et hollandais, est plus habitué à repérer les bonnes affaires et à former des joueurs. Jusqu’au début des années 2010, la plus grosse vente du championnat danois était de seulement 8,5M€, lorsque Daniel Agger avait quitté Brøndby pour Liverpool en 2006. Depuis quelques années, les transferts danois suivent la surenchère mondiale, mais toujours à un niveau inférieur. Une réalité demeure, le système économique des clubs danois fait que ceux-ci doivent régulièrement se séparer de leurs meilleurs éléments.

Le début et les années Zidan

Mais revenons un peu en arrière, au début des années 2000 plus exactement. Mettez-vous dans l’ambiance, il y a la Star Academy sur TF1, les premières parties PES entre potes, les discussions inutiles sur MSN, ça y’est vous y êtes? Alors direction Herning, petite bourgade danoise au Centre-Ouest de l’île continentale du Jutland, dans une région surnommée Heden “la Plaine”. C’est une ville danoise typique où la nuit tombe tôt l’hiver, et où la rue principale est déserte après 18h. Il ne se passe pas grand chose ici, dans une ville qui a comme plus grande fierté Bjarne Riis, le vainqueur du Tour de France en 1996. C’est dans cet environnement que naît le FC Midtjylland, littéralement “Le Football Club du Centre Jutland”, pas très sexy surtout quand la moitié du nom est en anglais et l’autre en danois. Mais cela correspond à la ‘mode’ des années 1990 et 2000 d’internationaliser les noms des clubs danois. Ainsi fut créé le Football Club København en 1992 et le Football Club Nordsjælland en 2003, alors qu’en danois il faudrait normalement dire “Fodboldklub” ou plus communément “Boldklub”.

Rien de surprenant, car les dirigeants sont soucieux de créer une marque et choisissent également le loup comme emblème. Maintenant, il s’agit de trouver de bons joueurs. Après une montée express, le club se stabilise en Superliga et truste rapidement le haut du tableau. C’est dans ces années-là, en 2003, qu’arrive un joueur qui va changer le destin du club, un joueur frisson au nom plutôt flatteur: Mohamed Zidan. Un égyptien au style ‘perso’ assumé et aux ambitions clamées haut et fort qui détonnent complètement dans la tranquillité du Jutland. La ‘jantelov’ danoise (sorte de code de conduite datant de 1933 axé sur l’humilité qui est encore très présent dans les moeurs danoises) en prend pour son grade. Grâce à ses dribbles dévastateurs et sa forte personnalité, Zidan propulse le club et le championnat dans une autre dimension. En 2004, lors de l’inauguration du nouveau stade du club, il plante le premier but, puis quatre autres. Un quintuplé et un score final de 6-0 contre son ancien club, l’AB. Le Danemark n’avait jamais vu un joueur avec autant de culot, qui cassait autant de reins avec ses chevauchées folles et ses feintes de frappe à répétition. Les exploits du joueur font rapidement le tour de la toile, et c’est Midtjylland entier qui en sort grandi. L’ancien de Port-Saïd est vite devenu le chouchou des supporters, et a mis tout le monde d’accord: coéquipiers, adversaires et même supporters adverses.

L’international égyptien Mohamed Zidan, entre folie et génie aura été un des premiers bon coup et grand joueur du club du FCM.

En contrepartie, le club doit céder aux caprices de son pharaon caractériel et l’aider à surmonter ses ennuis extra-sportifs. Zidan bénéficie de passe-droits, car le jeu en vaut la chandelle, Larmina. À l’époque, il apparaît souvent dans les médias danois, dont la rubrique peu envieuse des faits divers du journal sensationnaliste Ekstra Bladet. Son comportement enfantin et sa naïveté le desservent. Exemple, il achète une montre à Strøget (la grande rue piétonne de Copenhague) pour 300 euros. Il l’exhibe tellement fièrement lors d’une interview télévisée que le propriétaire la reconnaîtra. Valeur réelle de la montre? 20 000 euros, rien que ça. Il fera également un tour chez monsieur le juge pour une affaire de violence conjugale. Génial sur le terrain, Mohamed Zidan est une bombe à retardement. Son talent et ses déboires dépassent largement ce que le cadre du petit club des plaines plates du Jutland peut supporter. L’égyptien est prêté, puis vendu, au Werder de Brême en 2005. Il fera une carrière honorable par la suite, principalement en Bundesliga (Werder, Mainz, Hambourg et Dortmund). Il ne jouera plus jamais au Danemark, un pays qui était devenu trop petit pour son talent et sa tête. Bien plus qu’une belle vente, l’égyptien restera à jamais un pionner du club et certainement le joueur le plus talentueux de l’histoire de la Superligaen.

Centre de formation à la nantaise, partenariats et ventes à gogo

Sur leur faim après la success story Zidan, les dirigeants continuent à miser sur un recrutement judicieux, mais pas que. Dès 2003, les Loups ont une idée: devenir le premier club danois à avoir un vrai centre de formation, une académie de football. Pour cela, des émissaires du club sont envoyés sur les bords de l’Erdre pour s’inspirer du modèle du FC Nantes. La FCM Akademi ouvre ses portes l’année suivante. L’académie rafle tous les jeunes talents et se place très vite comme une référence – sinon la référence – au Danemark. Depuis sa création, la vente de joueurs y étant formés ramène beaucoup d’argent. Celui-ci est dépensé avec parcimonie et surtout réinjecté dans le centre de formation. Moyennant un petit billet, le FCM laisse à certains clubs le soin de terminer la formation de leurs joueurs. Ainsi, plusieurs joueurs dont Simon Kjær (Palerme), Viktor Fischer (Ajax) ou Andreas Poulsen (Gladbach) sont vendus aux alentours de leur majorité et avec moins d’une saison en pro dans les jambes. Les sommes évoluent avec le temps, 4M€ pour Kjær en 2008, 1M€ pour Fischer en 2011 et 4,5M€ pour Andreas Poulsen en 2018.

Ajoutez à cela les joueurs passés par le centre de formation qui prennent le temps de faire leurs gammes au club. Ceux-là sont beaucoup plus nombreux. Il y a eu Winston Reid (West Ham  4M€), Jonas Lössl (Guingamp 750 000€), Erik Sviatchenko (Celtic 2,5M€), Pione Sisto (Celta Vigo 6M€), Rasmus Nissen (Ajax 5,5M€) ou encore plus récemment Mikkel Duelund (Dyanamo Kiev 4M€) pour ne citer que certains d’entre eux. Les partenariats apportent également du beurre dans les épinards. En effet, d’une collaboration avec le FC Ebedei, club nigérian qui sert d’académie africaine au club, sont sortis plusieurs joueurs dont Oluwafemi Ajilore, Sekou Oliseh, Sylvester Igboun vendus pour de belles sommes vers les Pays-Bas et la Russie. Il y a même deux joueurs dans l’effectif actuel qui sont les fruits de ce partenariat: Frank Onyeka et Paul Onuachu. Ce dernier, un attaquant de 2 mètres dont les performances sont scrutées par les clubs européens, possède déjà une belle valeur marchande.

Malgré ces belles ventes, Midtjylland n’échappe pas à certaines périodes difficiles. Avec un budget aux alentours de 10M€ d’euros (similaire à des clubs de Ligue 2 tels Niort, Lorient ou Valenciennes), la marge de manoeuvre n’est pas énorme, et chaque erreur se paie cash. En 2008, le flop Jonas Boring, recruté pour la somme record de 2,5M€, refroidit le club. Le premier titre de champion du club en 2015 fut également difficile à gérer financièrement, et ce malgré l’arrivée en 2014 de l’homme d’affaires anglais, Matthew Benham qui devint alors actionnaire majoritaire du club. L’anglais injecta des fonds dans le club, séduit par le côté avant-gardiste du club qui partage sa vision de l’utilisation de la technologie et des statistiques dans le foot, comme nous vous le racontions en août 2017. Les comptes du club sont souvent dans le rouge à la fin des années 2000 jusque dans la décennie suivante. Étant donné que le FC Midtjylland ne compte pas une grande base de supporters, il est parfois difficile de faire tourner la boutique. Les participations en Coupe d’Europe pourraient ramener de l’argent, mais encore faudrait-il se qualifier pour une phase de groupe… Par conséquent, il reste au club les recettes de transferts. Et heureusement pour eux, ils sont plutôt doués pour ça.

 

2018, l’année de tous les records

Retour vers le futur, nom de Zeus: l’année 2018, où les Loups ont repris du poil de la bête. Le club vient de réaliser un énième gros transfert, la vente du gambien Bubacarr Sanneh. Le défenseur au physique de déménageur fut acheté pour une miette de pain (200 000€) en janvier 2018 à un autre club de Superligaen: l’AC Horsens. Alors, le club d’Herning fait ce qu’il fait de mieux, il le refourgue à Anderlecht dans les derniers jours du mercato d’été 2018 (histoire de faire monter les enchères). Montant total de la transaction: 8M€. Résumons donc, une demi-saison au club, un titre de champion du Danemark et une plus-value de quasiment 8M€. Difficile de faire mieux. Difficile, mais pas impossible, car Midtjylland a déjà fait mieux.

Fin 2017, un hurlement de loup se fait entendre dans la MCH Arena. C’est le loup de la musique de Kavinsky « Night Call » ensuite accompagné du passage de « Viva la Vida » de Coldplay qui retentit dans la stéréo, comme il est en est coutume à chaque but marqué par l’équipe du Jutland. Le petit stade de moins de 12000 places de Herning se lève pour célébrer un nouveau pion de sa grande tige norvégienne, Alexander Sørloth. À cette époque-là, Midtjylland et Brøndby se livrent une lutte acharnée pour la première place, et il apparaît déjà clair que le titre se jouera entre eux deux. Naturellement, quand arrive la trêve hivernale, les Loups se doivent de rester compétitifs. Eux qui espèrent glaner leur deuxième titre de champion, après celui de 2015. Hors de question, donc, de se séparer de ses meilleurs éléments. Et certainement pas leur meilleur buteur, Sørloth, dix buts et huit passes décisives en dix-neuf matchs.

Mais voilà, quelques heures avant la clôture du mercato, Crystal Palace lâche une offre faramineuse de 18M€ bonus compris pour l’attaquant norvégien. Impossible à refuser. Le joueur file en Premier League le 31 janvier 2018 et explose par la même occasion le record du transfert le plus cher du championnat danois. Un prix dingue pour un joueur acheté moins d’1M€ d’euros à Groningen six mois auparavant. Les Loups n’ont pas le temps de lui trouver un remplaçant et se retrouvent sérieusement affaiblis dans la course au titre. Pourtant, quelques mois plus tard et au prix d’un finish incroyable, les Loups grignotent un retard de 5 points sur Brøndby et remportent le titre. Pendant ce temps-là, Sørloth inscrit péniblement son premier but en août 2018 dans un match de Carling Cup contre une équipe de Championship. On vous a dit réussite insolente?

De l’argent, et maintenant des supporters?

Les ventes de l’année civile 2018 de Sørloth, Sanneh, Nissen, A.Poulsen et Duelund ont ramené plus de 35M€, dont seulement 7M€ ont été directement réinvestis sur des joueurs. Et les résultats donnent raison aux dirigeants, car après 8 journées de la nouvelle saison 2018/2019, les Loups restent compétitifs avec 15 points. Ils accusent un retard de 4 points sur le leader FCK, qu’ils affrontent ce dimanche à domicile. Les Loups ont bâti une forteresse footballistique et financière en pleine campagne. En misant tôt sur un centre de formation performant, des partenariats, des recrutements intelligents, et en sachant tirer le meilleur prix de vente de chaque joueur, ils se sont érigés en modèle de gestion du football danois et scandinave.

Cependant, le club est loin d’être aussi suivi que les deux géants de Copenhague (FCK et Brøndby), Aalborg ou encore Aarhus. Ce qui lui avait valu une pique d’Alexander Zorninger, l’entraîneur allemand de Brøndby qui – dans un élan de frustration après avoir perdu le titre – avait félicité le FCM et ses “148 supporters” qui avaient fait le déplacement lors d’un match déterminant au Brøndby Stadion. C’est possible que le FCM ne déchaîne pas les passions, mais les dirigeants du club avaient certainement anticipé qu’ils ne pourraient pas compter sur de grosses rentrées d’argent en termes de billetterie et de merchandising. La recrue d’un Van der Vaart cramé en 2016 a coïncidé avec une hausse de followers sur les principaux réseaux sociaux. Bien que cela ne représente pas un indicateur forcément fiable, ça a le mérite de prouver que le club suscite de plus en plus d’intérêt.

Rafael van der Vaart à Midtjylland un gros coup marketing pour le club plus que sportif (et motivé par l’amour porté à sa femme handballeuse professionnelle à Esbjerg au Danemark).

Quoi qu’il en soit, force est de constater que 19 ans après sa création, le FC Midtjylland est aujourd’hui où il était programmé pour être. Sportivement, c’est une réussite avant tout au niveau national, avec deux titres de champions et sept podiums. À l’international, le bilan est maigre avec une seule participation à une phase de groupes de Coupe d’Europe (l’Europa League en 2015/2016), alors que depuis 1998, quatre autres clubs danois se sont qualifiés au moins une fois pour les groupes de la Ligue des Champions (Aalborg, Brøndby, FCK et FCN). Mais Midtjylland se consolera avec ses sous. Les grosses plus-values sur les transferts découlant des recrues bon marché et joueurs formés au club assurent une certaine pérennité au club. Et n’est-ce pas bien là l’essentiel du football moderne?


Article rédigé par : Vilhelm Lucas

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