Une relation récente est en train de se créer depuis 2019 entre les clubs suédois et le club ivoirien de l’ASEC Mimosas. Une tendance qui pourrait bien continuer sur la durée tant tout le monde semble être gagnant, aussi bien les joueurs que les clubs. On s’est donc intéressé à l’histoire de ce club ivoirien, aux 7 joueurs de l’ASEC qui ont rejoint la Suède et enfin aux raisons qui poussent les clubs suédois à miser sur les jeunes de ce club et aux jeunes de rejoindre ce pays nordique.

Pour cela on a pu recueillir le témoignage de Pascal Théault, directeur de l’académie de l’ASEC et de Mikael Hjelmberg, directeur du recrutement d’Hammarby qui a recruté 3 joueurs du club.

L’ASEC Mimosas, un club référence en Afrique

L’Association Sportive des Employés de Commerce Mimosas est le club le plus titré de Côte d’Ivoire avec 26 sacres, dont plus de la moitié remportés entre 1990 et 2006 avec 15 titres sur 17 possibles. Et sur la scène continentale, le club ivoirien a pu remporter une Ligue des Champions Africaine en 1998 et la Supercoupe d’Afrique l’année suivante. Une domination dans les années 90/2000 qui coïncide avec l’impact et la volonté qu’a apporté le président du club Roger Ouégnin depuis 1989 et qui est toujours en poste aujourd’hui.

Mais si aujourd’hui en Europe on connaît bien le club de l’ASEC, c’est avant tout pour sa formation avec les nombreux grands joueurs ivoiriens qu’ils ont pu envoyer en Europe grâce à la qualité de leur académie. Impulsé par le président Ouégnin et le directeur technique puis entraîneur français Jean Marc Guillou, le centre de formation du club nommé Académie Mimosifcom a vu le jour en 1994 au centre d’entraînement Sol Béni.

Un des premiers centres de formation à voir le jour en Afrique et le premier en Côte d’Ivoire, devenu un temple du football sur le continent qui a pour mission de former les meilleurs joueurs ivoiriens. Une mission relevée avec brio grâce à des formateurs tels que Julien Chevalier qui est devenu le coach principal puis désormais l’ancien Caennais Pascal Théault de retour au club depuis 3 ans et demi après un premier passage de 2002 à 2008 qui y ont apporté la réussite que l’on connaît à travers une infrastructure digne de nombreux clubs européens et des principes forts.

« Je suis vraiment impressionné par leurs installations à Sol Beni et aussi par la qualité de leurs entraîneurs et le travail qu’ils font avec les garçons. L’ASEC fait un excellent travail et en tant qu’académie, je les note très haut. » Mikael Hjelmberg, le directeur sportif d’Hammarby

Même si leur règne sportif sur la Côte d’Ivoire s’est affaibli ces dernières années avec un niveau qui s’est homogénéisé et qui entraine une alternance des champions (6 champions différents sur les 10 dernières saisons), leur règne comme référence au niveau formation dans le pays continue. En effet, depuis plusieurs décennies, l’ASEC reste le club référence au niveau de la formation en Côte d’Ivoire et plus particulièrement sur le continent africain. On peut compter entre autres Yaya et Kolo Touré, Emmanuel Eboué, Gervinho, Didier Zokora, Salomon Kalou, Aruna Dindane ou encore Barry Copa. Tous passés par l’académie Mimosifcom, le centre de formation de l’ASEC Mimosas.

« Plus l’homme grandit, plus la chance du footballeur est grande » – la devise du club

L’accent n’est plus mis principalement sur une stratégie de résultats, mais plutôt sur la formation qui continue de donner satisfaction. En effet, former est la stratégie numéro 1 opérée par le club, leur identité même avec une formation entièrement gratuite. Et même si désormais de nombreux centres de formations se sont développés ces dernières décennies en Côte d’Ivoire, l’ASEC reste la référence au pays avec pour objectif de « permettre à de jeunes ivoiriens issues de tous les milieux sociaux de bénéficier en Côte d’Ivoire, d’une formation de très haut niveau, et ainsi leur donner la chance de bien préparer leur vie professionnelle« .

« On attache énormément d’importance, autant d’importance, à l’aspect scolaire, à l’aspect moralité, qu’à l’aspect football. C’est un tout, on doit avoir le même comportement, la même exactitude, la même rigueur quand on va en classe que quand on va sur un terrain de football. Donc l’ASEC développe beaucoup de choses dans son académie. Pas simplement le football. »

« Je pense que le gamin qui y sort, il y sort non seulement avec des bonnes bases footballistiques mais surtout des valeurs mentales qui lui permette partout où il va de s’intégrer, de plaire, de s’adapter. Et ça aussi c’est capital. Il y en a qui sortent de l’ASEC notamment ceux dont vous connaissez en Suède, les clubs nous félicitent souvent après. » Pascal Théault

La Suède désormais comme destination privilégiée

Historiquement, les jeunes de l’ASEC depuis les années 90 tentaient plus leur chance comme première expérience en France, aux Pays-Bas ou encore en Belgique où il y avait d’ailleurs un partenariat avec Beveren. Si la Belgique reste encore une destination récurrente pour les jeunes de l’ASEC, depuis 2019, une nouvelle destination est devenue en vogue pour eux. La Suède.

En effet, en l’espace de 2 ans, 7 joueurs du club ivoirien ont débarqué au sein d’un club suédois. Le premier fut Odilon Kossounou le défenseur central arrivé en janvier 2019 en Suède à Hammarby. Et c’est clairement grâce à sa réussite, que la tendance continue. Il sera resté seulement 6 mois du côté de la capitale Stockholm pour seulement 13 apparitions, puisqu’à l’été 2019 il aura été transféré en Belgique au Club Bruges pour 3,8M€, devenant ainsi la plus grosse vente de l’histoire du club suédois. Depuis titulaire au sein de la charnière centrale du champion belge la saison passée, il a aussi disputé les groupes de Ligue des Champions et est désormais aussi en sélection nationale à tout juste 20 ans.

Aura ensuite suivi à l’été 2019, 4 jeunes de l’ASEC en destination de clubs suédois. Parmi ces 4, seul le latéral gauche Kalpi Ouattara (1998) qui évolue dans le Nord de la Suède à Östersund a pu s’installer durablement dans l’équipe et rapidement s’acclimater. D’abord prêté, il aura été transféré définitivement en janvier 2020, où il a pris petit à petit la place de titulaire sur le côté gauche et ses bonnes prestations récentes lui ont valu de devenir international A en novembre dernier.

Le défenseur central Aziz Ouattara Mohammed (2001) et le buteur Loue Bayere Junior (2000) à Hammarby depuis 1 an et demi. Les deux auront aussi d’abord été prêtés puis transférés définitivement début 2020. Dans leur cas pas encore prêt pour l’élite suédoise, le club a profité de son club partenaire l’IK Frej en 3e division pour les prêter tous deux là-bas la saison dernière. Une belle réussite pour Ouattara Mohammed qui aura disputé toute la saison comme titulaire avec 26 matchs disputés sur 30 possibles. Au contraire, Bayere Junior n’aura pu disputer que 169 minutes en fin de saison en raison d’une opération au genou qui l’aura écarté des terrains quasiment toute l’année 2020.

Il y aura aussi eu l’arrivée en prêt avec option d’achat durant l’été 2019 du milieu burkinabé Ibrahim Bancé à Helsingborg. Mais avec seulement 7 apparitions pour 199 minutes de temps de jeu, l’option d’achat n’aura finalement pas été levée à l’issue de la saison et il aura donc fait son retour à l’ASEC où il évolue encore. Et enfin depuis janvier 2021, sont arrivés deux nouveaux jeunes ivoiriens de l’ASEC, cette fois dans le club du BK Häcken situé à Göteborg, l’ailier droit Bénie Adama Traoré et le défenseur Yannick Adjoumani. Tous deux nés en 2002, ils pourraient déjà avoir l’opportunité de se montrer dès cette saison dans l’élite suédoise.

Un grand exode du côté des jeunes du côté de l’ASEC mais qui est habitué à laisser partir rapidement leurs meilleurs éléments pour le bien de la réussite du joueur :

« Ce sont des joueurs qui ont été recrutés par Julien Chevalier, qui ont commencé leur formation avec lui et qui l’ont terminé avec moi. C’est tout à l’honneur de Julien de les avoir repérés puis lancés et puis moi j’ai sans doute apporté une touche complémentaire ce qui est normal on est des formateurs de joueurs à l’ASEC. On n’est pas là pour former des équipes et gagner des championnats ou des tournois forcément mais on est là pour former des joueurs. »

« Si le président ne pense qu’à lui, il va dérouiller les meilleurs jeunes. Traoré Beni il ne serait pas parti et avec Mohamed Aziz et les autres on serait champion de Côte d’Ivoire et on pourrait sortir des poules de LDC africaine. Mais cela sert à quoi ? Le jeune africain quand il joue dans la rue tout petit, il a qu’une mission c’est de sortir de la Côte d’Ivoire pour gagner de l’argent et le mettre ensuite dans la famille qui doit réparer le toit de la maison et acheter de l’eau et du riz pour manger 3 fois par jour. On en est là en Côte d’Ivoire à Abidjan, c’est une réalité. La mission du jeune, il est missionné. C’est comme quand on mise sur un poulain. Gagner ce n’est pas gagner avec l’ASEC. C’est sortir d’ici. »

Les raisons du choix du championnat suédois

Si certains clubs européens ont des partenariats avec les clubs africains comme en France entre le FC Metz et Génération Foot au Sénégal ou encore au Danemark entre le FC Midtjylland et le FC Ebedei au Nigeria et le FC Nordsjaelland avec la Right to Dream Academy au Ghana, du côté de l’ASEC ils n’ont actuellement aucun accord de partenariat avec un club suédois. Cela pourrait néanmoins potentiellement arriver à l’avenir, en tout cas du côté du club d’Hammarby, le directeur sportif Mikael Hjelmberg a pu nous confier que cela pourrait être une possibilité et qu’ils en discutaient en interne au sein du club.

Du côté des jeunes de l’ASEC si aux premiers abords on pourrait penser que la Suède pourrait les rebuter dans un pays à l’opposé de ce qu’ils ont pu connaitre en Côte d’Ivoire, c’est pourtant loin d’être le cas où ils passant bien au-dessus de ça. Notamment car lors des dernières années, la Suède a déjà pu lancer plusieurs joueurs africains dans leur 1re étape footballistique en Europe comme des Tino Kadewere (Lyon), Joseph Aidoo (Celta Vigo), Omar Colley (Sampdoria), Majeed Waris (Strasbourg), Michael Olunga (Al-Duhail SC), Daniel Amartey (Leicester), … qui leur donne d’autant plus une confiance envers les clubs suédois pour lancer leur carrière en Europe.

Mais aussi car ils ont déjà eu l’occasion de connaître la Suède grâce au grand tournoi international de jeune, la Gothia Cup, qui a lieu tous les ans en juillet à Göteborg. Là-bas ils peuvent y voir les bonnes installations sur place et c’est notamment l’occasion pour les clubs suédois de directement repérer les joueurs sur place. Comme a pu nous l’expliquer Mikael Hjelmberg pour le cas d’Odillon Kossounou, où la compétition a servi de première approche pour le joueur de l’ASEC a rejoindre la Suède à Hammarby :

« Odilon a été repéré pour la première fois en Gothia Cup. Après le tournoi, nous l’avons invité directement à Stockholm pour un essai. J’étais en Côte d’Ivoire pour le voir ainsi que d’autres joueurs de l’ASEC peu de temps après et j’ai vu Aziz et Loue à Sol Beni. Odilon a été invité à Stockholm 5 fois sur une période de 2 ans. Je voyage en Côte d’Ivoire 2-3 fois par an pour repérer les joueurs. »

Pascal Theault avec les jeunes U17 de l’ASEC ayant terminé 3e lors de l’édition 2018 de la Gothia Cup. Crédit photo : site de l’ASEC.

Une belle réussite de Kossounou en Suède qui donne confiance à ces successeurs de suivre la même destinée. Et avec qui ils ont pu parler pour se faire confirmer qu’en Suède ils seraient bien entourés au sein d’un bon environnement pour pouvoir développer encore plus leurs aptitudes et potentiel. Également pour les clubs suédois, cela a confirmé qu’en misant sur des jeunes de l’ASEC, ils auraient à disposition des jeunes footballeurs parfaitement formés déjà sur tous les aspects :

« La Suède est un excellent premier pas pour ces garçons et un parfait tremplin vers de plus grands clubs en Europe. Nous prenons bien soin de nos joueurs également en dehors du terrain. Notre organisation fait un excellent travail pour que ces garçons se sentent bien. » Mikael Hjelmberg.

« Pourquoi pas la Suède, ça à l’air très correct, très très propre entre guillemet. Je pense que les pays scandinaves peuvent avoir beaucoup de bonnes choses à prendre des jeunes africains. Les jeunes africains qui sortent de l’ASEC ont été formé très correctement par Julien, par moi-même. Sur tous les plans, technico-tactique, athlétique et mental. Je pense que les clubs pour l’instant ne sont pas déçus. Et les prochains ne seront toujours pas déçus car il y a une grosse éducation qui est faite à l’ASEC. » – Pascal Théault.

Mais l’attraction principal des jeunes de l’ASEC pour la Suède, reste que contrairement aux championnats du top 5, ils savent qu’ils auront leur chance et du temps de jeu assez rapidement. Un étape intermédiaire parfaite pour eux où le niveau leur est souvent directement accessible pour se montrer et pour rapidement avoir l’opportunité de viser plus haut comme nous l’explique Pascal Théault :

« Ce qui est le plus important dans la formation d’un joueur c’est sa sortie. Parce que si le recrutement est bien fait, la formation est bien faite. Si la sortie n’est pas bien maitrisée, c’est du gâchis. Ce sont des opportunités, c’est un peu le destin. Cela tombe bien avec la Suède, parce que les joueurs jouent et ont l’air de jouer bien. Donc c’est le plus important. Ce n’est pas le pays où on arrive mais c’est le pays qui nous fait jouer, le club. »

« Si en Suède les enfants qui sortent de la formation jouent directement en pro, c’est exactement ce qui leur faut. C’est le tremplin idéal. Même sans parler de tremplin. À 18/19/20 ans, il faut jouer. Un jeune qui a été formé correctement qui a du talent, le pire pour lui c’est de ne pas jouer. Si le gamin il va directement au PSG ou au Barça, il risque de ne pas jouer avant longtemps. Donc en fin de compte c’est ça qui importe, ce n’est pas le nom et le renom du club ou du pays, c’est surtout le temps de jeu que le gamin va avoir. C’est bien mieux que de faire banquette et se faire prêter, prêter, encore prêter … Moi j’aime beaucoup ce qui se passe avec la Suède. »

De quoi laisser espérer que cette relation étroite perdure sur le long terme et offre aux jeunes de l’ASEC et aux clubs suédois l’opportunité de se développer. Même si après deux ans de relation entre les clubs suédois et l’ASEC, il est encore trop tôt pour tirer un bilan, la réussite de Kossounou laisse présager aux autres jeunes de l’académie de suivre ces pas. Et la qualité de la formation de l’ASEC aussi bien au niveau sportif, qu’éducatif, aux clubs suédois de continuer à miser sur eux.

Tout le monde y gagne son compte au final. L’ASEC est fier de pouvoir lancer un nouveau jeune en Europe dans un championnat où ils savent qu’il sera bien accompagné, aura du temps de jeu et pourra commencer à bien gagner sa vie. Et pour le club suédois de recruter un jeune à un montant quasiment imbattable sur la marché au niveau qualité/prix qui pourra rapidement lui offrir des garanties sportives.

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